Histoire

article | Temps de Lecture5 min

La tour de Constance comme prison

vue resserrée de la herse en bois de la tour de Constance

Après la révocation de l’édit de Nantes, Aigues-Mortes transforme la tour de Constance en prison pour huguenots.

Révocation de l’Édit de Nantes

En 1685, Louis XIV révoque l'édit de Nantes au nom de l'ancien principe du cuins regio eius religio (que l'on peut traduire par « tel roi, telle religion », autrement dit, le peuple en entier doit suivre la religion professée par son prince). 

Désormais, les protestants n'ont plus droit de cité dans le royaume et ils doivent quitter le sol de France en abandonnant leurs biens, ou abjurer leur foi. S'ils contreviennent à cet ordre du roi, ils s'exposent à l'incarcération

Dès 1686, les premiers Protestants capturés dans la région sont enfermés dans la tour de Constance, mais aussi dans d'autres tours et portes de la ville.

Dans la plupart des cas, ces prisonniers ne sont qu'en transit dans la ville. Les hommes vigoureux sont destinés à alimenter en bras les galères du roi et sont vite conduits à Toulon. Les jeunes femmes sont destinées aux colonies où elles doivent épouser de force des colons bons catholiques. Les autres sont ensuite conduits dans les prisons de Montpellier, Nîmes, ou encore le fort de Brescou.

Photo de la tour de Constance depuis la porte ouverte du pont dormant
Tour de Constance

© Philippe Berthé / Centre des monuments nationaux

Les conditions de vie

Jusqu’au début du XVIIIe siècle, les femmes sont incarcérées dans la salle basse, considérée comme plus salubre, et les hommes au premier étage. Des sorties sont autorisées sur la terrasse pour s'aérer. Les prisonniers sont réduits au pain et à la paille du roi, et disposent de l'eau du puits. Pour le reste, ils doivent compter sur leur travail, leurs ressources propres ou les aides accordées par l'extérieur.

Les conditions de vie sont particulièrement difficiles et il y a de nombreux morts dans ces geôles, soit par les différentes épidémies qui peuvent s'y développer, soit par la malnutrition et autres mauvais traitements. De nombreux cas de folies sont enregistrés (les malades sont alors rendus à leur famille), de même que des cas de cécité, provoqués par le manque de lumière.

On compte également quatre naissances dans la tour (tous ces enfants ayant été conçus avant l'arrestation des mères). La correspondance de Marie Durand éclaire sur les conditions de vie de ces femmes.

Salle haute de la tour de Constance, dite salle des prisonnières
Salle haute de la tour de Constance, dite salle des prisonnières

© David Bordes

Les libérations

En janvier 1767, le prince de Beauveau, gouverneur de Languedoc depuis 20 ans, et qui préside alors les États à Montpellier, arrive à Aigues-Mortes pour rencontrer les prisonnières. Contrairement à la légende transmise par le chevalier de Boufflers, son neveu, toutes les quatorze femmes ne sont pas aussitôt libérées. 

En fait, il n'y a plus alors que onze femmes, dont deux seront libérées, le 11 janvier. Une des prisonnières meurt en juin. Le prince de Beauvau agit contre Florentin, principal ministre de Louis XV, et ne peut donc procéder qu'au coup par coup.

Le 14 juillet 1768, Marie Durand et Marie Vey, libérées, retournent au Bouschet de Pranles (où Marie mourra en septembre 1776, à l'âge de 65 ans). Il reste dans la tour cinq femmes dont deux ne retrouveront pas la liberté. Le 28 octobre une nouvelle prisonnière est libérée.

Enfin, le 27 décembre, Marie Roux et Suzanne Pagès, les dernières prisonnières, quittent la tour de Constance qui n'abritera plus de prisonnier pour fait de religion.

vue de l’escalier depuis le palier du 2ème étage de la tour de Constance
escalier tour de Constance - palier 2ème étage

© Philippe Berthé / Centre des monuments nationaux

REGISTER et graffitis

Sur la margelle de l'oculus de la salle haute figure un graffiti célèbre dans le monde entier, REGISTER (résister en occitan), sorte d'injonction qu'aurait gravé dans la pierre Marie Durand, se dressant contre l'intolérance royale pour prêcher la résistance de ses compagnes d'infortune.

Résister à la tentation de la liberté également : une occasion de quitter la tour était offerte aux prisonnières de la tour, mais elle devait se faire au prix fort : l'abjuration. Il suffisait de rejoindre la communauté catholique et renoncer à la foi protestante pour retrouver son foyer et sa famille. La chose pouvait paraître alléchante. Mais il y eut peu de candidates à cette forme de trahison : sur la plupart des femmes entrées dans la tour vers 1730, on compte seulement huit abjurations entre 1735 et 1743.

D'autres graffitis huguenots sont lisibles sur la voûte de la chambre de tir. Les noms protestants sont précédés d'un W majuscule (peut-être une évocation de l’oméga, qui reprendrait le verset « Je suis l'alpha et l'oméga, le début et la fin », le protestant se plaçant évidemment à la fin). On rencontre parfois la mention « et sa metresse ».

Il ne faut pas oublier que jusqu'à l'édit de Tolérance promulgué par Louis XVI en 1787, les protestants étaient privés d'état civil et les mariages contractés au désert n'étaient pas reconnus par la loi. Les couples protestants étaient considérés comme concubins et non comme époux légitimes. Il se peut donc que ces graffitis remontent à l'époque où des hommes étaient captifs au premier étage de la tour alors que leurs épouses occupaient la salle basse. On sait par ailleurs que de tels couples, voire des familles complètes, ont été incarcérés dans cette tour.

Gravure REGISTER sur la margelle de l’oculus de la salle des prisonnières dans la Tours de Constance
Gravure REGISTER sur la margelle de l’oculus de la salle des prisonnières (Tours de Constance)

© Romain Veillon / Centre des monuments nationaux

à découvrir aussi